Eddie Komboïgo : « J’ai été un homme d’affaire avant de m’investir en politique »
Il s’appelle Eddie Komboïgo, homme d’affaires de renom avant de se distinguer en politique au Burkina. Il dirige depuis, l’emblématique Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) qui a fait de lui le chef de file de l’opposition politique Burkinabè. Le voici pour une des rares fois, à cœur ouvert dans la presse par le truchement d’une interview qu’il a bien voulu nous accorder. Entretien obtenu depuis son siège le mardi 23 mars 2021 dans les locaux de ses bureaux à Ouagadougou sans tabou sur le parcours de cet expert-comptable de formation, sa vie d’étudiant, ses ambitions pour la jeunesse Burkinabè etc…
Si vous devriez parler de vous-même à vos compatriotes Mr Eddie Komboïgo, que pourrait-on en retenir ?
Je me vois comme un homme humble, modeste et travailleur, qui sait ce qu’il veut dans la vie. J’ai fait le primaire à l’école samandin 1 de Ouagadougou jusqu’au CE1. Comme j’étais un garçon turbulent, mon père a souhaité que j’aille poursuivre l’école à Louré (Manga) chez mon cousin qui y était instituteur. J’y ai fait le CE2 jusqu’au CM2 et à l’époque il n’y avait pas beaucoup de collèges. Tous ceux qui réussissaient à l’entrée en 6ème de Manga, Zorgho, Koupela, Pouytenga, garango et les pays Yana jusqu’à la frontière du Togo, faisaient le CEG de Tenkodogo; quelques-uns fréquentaient le CEG de Fada. C’est de cette manière que j’ai fait le CEG de Tenkodogo en internat, et où j’ai obtenu mon entrée en seconde.
Comme je ne souhaitais pas poursuivre au CEG de Tenkodogo devenu entre-temps Lycée Rialé, j’ai dû retourner à Ouagadougou pour passer un concours afin d’intégrer le Lycée Technique de Ouagadougou.
Qu’est ce qui a motivé vos choix pour la filière des finances ?
On avait le choix entre la Comptabilité et le secrétariat. A l’inscription pour le concours, j’ai demandé à connaitre la différence entre la filière comptabilité et le secrétariat ? C’est là qu’une dame m’a répondu que la comptabilité c’est pour les hommes et le secrétariat c’est pour les femmes. Le choix de la filière comptable est ainsi fait (rires).
Après l’obtention du CAP et du BEP option comptabilité, du BAC G2, j’ai intégré l’Institut Universitaire Technique (UIT) à l’université de Ouagadougou ou j’ai fait le Diplôme Universitaire Technique (DUT), Option Finance Comptabilité. C’est après cela je suis allé faire des études d’expertise comptable à l’Institut National des Techniques Économiques et Comptables (INTEC) de Paris.
Afin de faire face à la dure réalité de la vie d’étudiant à l’extérieur, j’ai, cumulativement, à ma vie d’étudiant, fait des petits boulots. J’ai été successivement veilleur de nuit dans un hôtel, vendeur d’essence dans une station, ensuite la chance m’a souri et je me suis retrouvé surveillant et ensuite enseignant dans le même Lycée St Gabriel à Fontenay aux Roses. C’est de là que le virus de l’enseignement m’a piqué. J’ai dispensé des cours pendant 2 ans en terminal dans la série G2. Je suis ensuite rentré au pays et j’ai ouvert mon cabinet et vous connaissez la suite. Je me suis donné le temps de me réaliser sur le plan professionnel jusqu’en 2012,
Revenons sur votre vie estudiantine en France. Comment cela s’est déroulé ?
Je suis allé d’abord suite à une bourse que j’ai obtenue. Lorsque je me suis rendu à Paris 12 et j’ai compris que c’était un doctorat alors que moi je rêvais d’être Expert-Comptable, je me suis inscrit dans une autre université plus couteuse, avec l’appui des parents. Les autres camarades qui devaient rentrer au pays ne sont plus revenus mais moi je suis revenu après l’expertise comptable bien qu’on m’a coupé la bourse. J’ai enseigné pendant 20 ans à l’université de Ouagadougou de 1994 à 2014 ; je pense avoir payé ma dette vis-à-vis de l’Etat burkinabè.
Comment s’est passé votre retour au pays et votre intégration ?
J’avais la conviction qu’il fallait rentrer, je suis rentré et j’avais en tête la création du cabinet d’expertise comptable du genre « Eddie Komboigo entreprise individuelle ». Mais dès que je suis rentré, j’ai eu des propositions. Le regretté Salif Diallo à l’époque était un ainé de l’Université et il m’a proposé immédiatement de venir pour un poste à la BICIAB: de Directeur Financier car la convention qui existe entre l’état Burkinabè et la France préconisait que dans la prise de capital le Burkina participe également à la gestion de la Banque. C’est ainsi que les postes de Directeur Général Adjoint et Directeur Financier revenaient au Burkina mais je ne voulais pas être Directeur Financier ou Directeur Général Adjoint ; je voulais continuer dans l’expertise comptable. Beaucoup de gens n’avaient pas compris pourquoi j’ai préféré un avenir d’expert-comptable à une carrière dans une grande banque. J’ai été traité de tous les noms mais j’ai répondu à Salif: « je sais ce que je veux, tu n’as pas besoin de me supplier ».
Je voulais être indépendant, créer ma société et voilà c’est là où j’en suis aujourd’hui.
Au pays vous êtes connu également sur le plan politique…
En effet, j’ai aussi été candidat au nom de mon partie CDP aux législatives 2012 et j’ai été élu à la circonscription du Passoré puis les évènements sont survenus en 2014. Mon parti a été empêché d’aller aux élections en 2015.
C’est alors que J’ai pris la direction du parti. Mais plusieurs évènements se sont enchaînés dans la foulée. J’ai été accusé d’avoir fomenté ou financé un coup d’Etat à hauteur de 3 milliard. Après 4 mois et 8 jours d’emprisonnement, j’ai été mis en liberté provisoire. Après 2 ans d’enquêtes, j’ai été totalement blanchi. J’ai été reconduit à la tête du parti en 2018. A l’issue des élections présidentielles de 2020, le CDP est aujourd’hui officiellement la deuxième force politique du pays et j’occupe le poste de chef de fil de l’opposition et député à l’assemblé national. Mais je suis persuadé que le CDP est la première force politique du Burkina.
Que pouvez-vous nous dire sur l’évolution du métier d’expertise comptable, après tant d’années d’expériences ?
Ne confondez pas un comptable à un expert-comptable. L’expertise comptable est un métier porteur car elle requiert une formation complète. Nombreux sont ceux qui pensent que l’expert-comptable est un comptable. C’est vrai que la comptabilité est une technique et non une science. La comptabilité est soutenue par des textes législatifs ; ces textes législatifs découlent de la science juridique, alors le pas est vite fait en disant que celui qui est bien formé en expertise comptable doit avoir des connaissances en sciences juridique : le droit social, le droit fiscal, le droit des sociétés, le droit pénal et le droit du travail.
C’est un peu le même programme que celui qui a fait un DESS en droit des affaires aujourd’hui appelé MASTER II en droit des affaires. En plus de cela il subit une formation en macro et microéconomie. Au-delà de cela, vous avez ce qu’on appelle la base juridique, la base comptable, la base économique, la base de gestion et vous devenez un ‘’dieu en entreprise’’, l’expert-comptable crée la société, la suit pendant toute sa croissance dans toutes les étapes de son évolution, sa vie. Il procède à sa liquidation quand la société tombe en faillite.
Qu’est-ce qu’un expert-comptable ?
Un expert-comptable n’est pas à confondre à un comptable. C’est comme un dieu en entreprise. C’est l’expert-comptable qui vous aide à créer une société, c’est lui qui échafaude votre projet de société, et quand vous êtes en difficulté, c’est encore lui qui intervient pour un redressement, une résolution à l’amiable, ou une liquidation. C’est pour cette raison que j’ai imagé la fonction en ‘’dieu de l’entreprise’’.
M.Komboïgo, en plus de ses activités politiques, est aussi un chef de famille et est à la tête de plusieurs entreprises. Comment un seul homme peut-il porter toutes ces casquettes ?
C’est la volonté de réussir dans la vie. Si vous estimez qu’être journaliste et venir me poser des questions, le salaire qu’on vous donne est suffisant pour exister tant pis pour vous. Si vous estimez que ça ne peut pas suffire pour réaliser ce que vous projeter dans la vie, vous serez tenté de faire autre chose parce que Laurent Gbagbo disait que si vous voulez être riche, ne venez pas en politique, ne soyez pas des journalistes…, mais soyez plus tôt des hommes d’affaires. Donc j’ai d’abord été un homme d’affaires avant de m’investir aux avant-postes de la politique. Un besoin de me réaliser personnellement et d’être utile aux autres. Surtout dans le milieu des entreprises. La profession d’expert-comptable nous ouvre beaucoup de portes. Ça nous a permis d’être expert judiciaire ; nous sommes un conseil des juges en matière donc de gestion des entreprises. L’expert-comptable est donc, un auxiliaire de justice. Il doit scrupuleusement respecter la loi et les règlements du pays. Il est commissaire au compte, qui est une mission légale de contrôle de gestion, chargé de certifier la régularité et la sincérité des comptes que les sociétés produisent pour les actionnaires, pour que l’État puisse prélever l’impôt juste dans un premier temps ; mais également pour que les actionnaires soient tous d’accord que leurs fonds ont étés utilisés à bon escient afin que la perception de leurs dividendes se passe sans heurt. Nous sommes ceux qui rassurent les investisseurs.
Un message à ceux qui veulent suivre vos pas
Plusieurs personnes sont passées par mon cabinet et se sont inspirés de moi. Certains d’entre eux sont en France. Quand je suis de passage en France justement c’est ‘’la lutte’’ parmi mes anciens étudiants qui me demandent de venir rester chez eux plutôt que d’aller à l’hôtel.
Il faut se donner à fond sans réserve parce qu’on a de plus en plus de diplômés au Burkina Faso. Le marché n’étant pas extensible à volonté, les prestataires sont obligés de se partager le marché entre eux. Il faut d’avantage valoriser ce corps. Si nous avons la chance de diriger ce pays, nous allons valoriser ce métier, celui de l’expertise comptable.
Selon dame rumeur Mr Eddie Komboïgo n’est pas expert-comptable diplômé. Il se serait associé à des experts comptables confirmés afin de créer son cabinet. Que répondez-vous à ces déclarations ?
Vous pouvez vous renseigner auprès de mes clients ; tout cela me fait rigoler. Ceux qui viennent chercher des poux sur un crâne nu, ils peuvent raser le crâne mais ils ne trouveront rien.
Nous vous avons suivi sur une chaine de télé de la place où vous affirmiez je cite « faire des routes dans une ville comme Ouagadougou, ne constitue pas le développement ». Selon vous c’est quoi le développement ?
Le développement regroupe beaucoup de choses à la fois. Il y’a les populations et il y a leur niveau de vie. Faire une route de Zogona à Wemtenga, ce n’est pas ça qui fait le développement. Vous voilà assis, est ce que vous êtes développé parce qu’on a fait une route dans votre quartier ? Non. Certes, elle peut amener les gens à s’installer au bord des routes et faire le commerce mais ce n’est pas cela le développement. Il faut d’abord qu’on arrive à définir, à dire qu’est-ce que nous voulons d’un niveau à l’autre. Si vous prenez la population burkinabè, est ce que tout le monde a le même niveau de développement ? Quel est le niveau moyen ? Le salaire minimum, la qualité de vie. Le développement c’est déjà avoir la santé, s’assurer qu’on a la santé sur tous les points de vue. Que l’on se suffit sur le plan alimentaire, que l’on puisse se déplacer pour aller là où l’on veut dans l’aisance, ensuite que l’on produise mais que l’on importe moins. On ne dépend pas de l’autre pour exister. La production est importante, raison pour laquelle nous soutenons l’agriculture et la transformation des produits de l’agriculture pour créer des richesses. Lorsque vous pensez que développez une ville suffit pour dire qu’on s’est développé, quels sont ceux qui en réalité profitent ? Nous avons des indices d’évaluation de la croissance et du développement qui doivent avoir pour conséquence d’améliorer le panier de la ménagère. Si la création de la croissance et de la plus-value est un élément essentiel, la répartition équitable de cette richesse détermine le vrai développement. Lorsqu’on classe le Burkina Faso en disant que c’est un pays pauvre peu développé c’est qu’il y a des indicateurs. Ces indicateurs ont été définis par qui ? Est-ce que nous allons reprendre les mêmes indicateurs pour les pays européens, pour les occidentaux, les pays américains, les appliquer ici et faire du copier-coller ou si nous allons établir nos propres indicateurs de croissance et de développement. Si aujourd’hui je vous donne un vélo, vous allez dire M. KOMBOIGO ne vous respecte pas ; mais si je vais au village et je donne un vélo au paysan il va dire que j’ai changé sa vie. Il peut aller au champ, porter du bois de chauffe etc… en un mot j’aurais amélioré sa qualité de vie. Combien sont ceux-là même qui ont des vélos au Burkina Faso ? Ces vélos sont fabriqués où ? Ils sont tous importés. Nous importons tout. C’est pour dire tout simplement que nous créons la richesse pour ceux qui sont en train de mettre des unités de fabrication chez eux. Nous sommes des sociétés de consommation et une société de consommation ne peut pas se plaire et se complaire à parler de développement. Je ne sais pas si je me fais comprendre, peut-être qu’il faudra encore plus de temps, mais ces quelques exemples nous éclaire sur la notion relative de développement qui dépend de beaucoup de paramètres.
Vous êtes notre GOLDEN BOY national, et friand de grosses cylindrés. Dites-nous, quels sont vos loisirs ?
Je ne sais pas ce que vous appelez « golden boy », par contre je puis vous dire que ce n’est pas qu’Eddie KOMBOIGO aime les voitures, il a une démarche qui l’amène à progresser. Vous ne regardez que les voitures, vous ne regardez pas autre chose, son patrimoine. L’exemple des voitures : lorsque j’étais étudiant à Paris, j’allais en métro pour faire veilleur de nuit dans un hôtel, j’allais en métro à l’école, également pour faire vendeur de station et au fur et à mesure que j’obtenais mes diplômes j’ai été proposé comme surveillant dans un lycée où j’avais un salaire plus consistant. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme, j’ai été proposé comme enseignant ce qui me donnait plus de revenu. Etant enseignant je pouvais subvenir à mes besoins du moment. Si je veux rouler en voiture, je me donne les moyens d’avoir les revenus d’acheter une voiture. J’ai commencé par une 504 en référence à mon père. Quand je suis revenu au Burkina Faso j’ai vendu tout cela pour acheter un ordinateur pour travailler. J’ai travaillé et j’ai acheté une autre voiture et quand je me suis dit il faut que j’atteigne un autre niveau je me suis permis une nouvelle voiture et ainsi de suite. En fixant la barre très haute, on atteint les objectifs. Mais vous ne prenez que cet aspect des choses.
Il n’y a pas que les voitures, prenons les locaux où je travaillais. Quand je suis venu en 1994 j’étais à Wemtenga dans mon célibatorium d’étudiant communément appelé chambre-salon. Mon salon était mon bureau et puis il y avait ma chambre à côté.
A la faveur du déménagement du voisin, nous avons récupérer ces locaux pour faire le bureau et j’étais toujours dans le même célibatorium. Nous sommes sortis de ce célibatorium pour prendre un appartement au centre-ville et de là, nous sommes venus au projet ZACA ou il n’y avait que des villas. C’est là que nous sommes actuellement. C’est pour dire que si l’on ne se donne pas des objectifs, on ne peut pas progresser. Vous faites des réalisations et les gens disent ‘’il aime le luxe’’ ; Si vous vous complaisez à avoir un vélo et y rester pendant vingt (20) ans alors restez-y. Eddie KOMBOIGO a choisi de faire autrement.
Eddie Komboïgo, est réputé être un grand acteur du social. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Vous connaissez le Burkina, le pays n’est pas développé. Nous sommes tous des africains, nous sommes tous sociaux. Voir des gens en 2021 dans des besoins primaires nous donne des pincements au cœur, si nous pouvons leurs apportez un peu plus pour les soulagés c’est tant mieux. C’est ce que nous faisons. Nous donnons le maximum de nous-même pour faire les œuvres sociales, mais tout en sachant que ce n’est pas les œuvres sociales qui vont développer les uns et les autres ; nous ne faisons qu’apaiser leurs douleurs. Il faut du travail effectif et des réformes de la société burkinabè en passant par la formation technique, scientifique et professionnelle pour orienter nos enfants vers la production et la valorisation de nos richesses. On ne peut pas dire que Eddie Komboigo est le seul qui fait des œuvres sociales. Peut-être même que vous en faites également.
Bien que l’État Burkinabè m’ait coupé la bourse, à mon retour j’ai enseigné pendant 20 ans et utilisé mon salaire pour les œuvres caritatives. J’ai pu le faire parce que je m’étais créé d’autres sources de revenus.
Quand on nous demande des biens ou des appuis qui dépassent nos possibilités, nous sommes obligés de dire que nous ne pouvons pas. Ce n’est pas une source intarissable. Je voudrais m’excuser auprès des populations qui viennent souvent nous solliciter pour des aides ou des demandes de financement de certains projets. Nous ne sommes pas des banques. Nous souhaitons que ces populations réalisent qu’elles n’ont pas besoin d’aide mais de conseils. Il faut avoir confiance en soi. Dieu a placé en tout un chacun d’entre nous le même potentiel. Tout dépend ensuite de la confiance que l’on a en soi et le courage que l’on a à le valoriser et à affronter les écueils de la société. Partout, il y a des obstacles et quelques soit l’obstacle, nous devons avancer même si c’est à petits pas.
Eddie Komboïgo a pendant 20 ans transmis ses connaissances à de multiples étudiants à l’université de Ouagadougou. Quel regard jetez-vous aujourd’hui sur ce parcours de formateur ?
J’ai enseigné par patriotisme et non par obligation car ma formation supérieure d’expert-comptable n’a pas été assurée par l’Etat burkinabé. Comme on parle de mes faux diplômes, je me demande si ce n’est pas des fausses connaissances que j’ai transmises pendant 20 ans (Rire). J’ai enseigné des gens que vous n’imaginez pas. L’ancien ministre de la justice René BAGORO a été mon étudiant ; Me Mathias TANKOANO du Conseil Supérieur de la Communication est un de mes anciens étudiants ; les ex ministres de la culture Tahirou Barry et Abdoul SANGO ont été mes étudiants. Il y en a plein, même le président de la justice militaire SANGARE, l’actuelle ministre de la fonction publique le Pr Séni OUEDRAOGO également. On peut en dénombrer partout et dans tous les ministères et le secteur privé, mes anciens étudiants. En plus, vous ne trouverez pas un seul qui viendra dire que Eddie a été un piètre enseignant.
Je suis surpris souvent de retrouver mes anciens étudiants dans des endroits où je ne pensais connaitre personne. Et souvent ils me rendent d’immenses services par reconnaissance. C’est cela ma fierté et mon salaire d’enseignant : voir mes anciens étudiants occuper des postes importants et servir le pays.
Aujourd’hui, vous êtes une icône pour plusieurs burkinabè. Quel est votre message à leur endroit ?
Il faut une grande réforme du contenu de la formation pour répondre aux attentes de notre économie. Que sera le Burkina en 2030, 2040,2050 si nous ne formons pas les burkinabè, nos enfants et nos petits enfants sur les besoins économiques de notre pays ? Mais forcément, on va formez des chômeurs ! Vous l’aurez constaté ; au Burkina Faso on n’a jamais estimé le chômage en termes de taux parce que ce sera très élevé. Vous allez partout, en Europe dès que le taux de chômage atteint 7 ou 8% tout le monde est en émoi. Mais ici il est de 90, 95% et le gouvernement tourne les pouces.
Il faut d’abord qu’on structure notre économie. Nous sommes en train de constater chaque année que l’on est parti d’une unité industrielle dans le domaine aurifère à deux unités. Aujourd’hui on est à 17 unités industrielles et aucun investissement locale. Il n’y a aucune école de formation dans le métier des mines. C’est de “l’à peu près” que l’on fait. Au niveau étatique on ne voit absolument rien. Vous prenez la construction d’une maison seulement, on a besoin de maçon. Donner moi le nom d’une école de maçonnerie au Burkina Faso. Nous avons besoin de toitures mais qui a fait une école de tôlerie ? Nous avons besoin de plafond. Qui a fait l’école de plafonnerie ? Nous avons besoin de carrelage. Qui a fait l’école de carrelage ? Nous avons besoin de plombier, où se trouve l’école de plomberie ? Cela veut dire que les millions de mètres linéaires de tuyauterie posés par l’Office Nationale de l’Eau et de l’Assainissement (ONEA) ont été posés par des ouvriers qui ont appris sur le tas, et qui pensent avoir bien fait leur travail. Alors penser que le travail est bien accompli et s’assurer qu’il l’est vraiment sont deux choses différentes. S’il y a des erreurs et des fuites d’eau, cela est répercuté sur les factures. Il faut aider le gouvernement et tous les gouvernants à repenser l’école Burkinabè. L’école ce n’est pas faire le CP1 à BAC plus beaucoup. Il faut avoir de la compétence. Sachez que ce n’est pas seulement votre diplôme qui est le plus important. C’est pourquoi dans les pays anglo-saxons, on ne peut pas arriver à ingénieur sans avoir fait des stages. Vous allez faire deux ans à l’école puis vous allez sur le terrain pour validez ; vous revenez encore à l’école, vous faites deux ans, trois ans et vous repartez sur le terrain vous validez, ainsi de suite. Ils ont des modules de sorte à ce que d’ici que vous arriviez à Ingénieur, vous savez tout faire. Tout cela, ça me tient à cœur. Une vraie réforme. Ce n’est pas une réforme qui organisera le BAC comme il est question en ce moment entre le Ministère de l’Enseignement Secondaire et Supérieur et de la Recherche Scientifique et le Ministère de L’Education Nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales. Un débat inutile entre premier diplôme de début de cycle universitaire et dernier diplôme de fin de cycle de secondaire. Nous risquons d’avoir un problème avec les autres universités car, si nous dévalorisons notre diplôme en disant que c’est un diplôme de fin de second cycle, avec quoi les élèves iront à l’université ? Au lieu de montrer votre carence parce que vous n’avez pas suffisamment de place à l’université, il ne faut pas aller faire des reformes inutiles et inintelligentes. Le gouvernement n’a rien compris.
J’invite les intellectuels ministres en charge de la question à un débat franc pour ne pas perturber et égarer d’avantage nos enfants.
Aujourd’hui la jeunesse veut entreprendre et surtout dans votre domaine, mais se heurte à beaucoup de difficultés. Quel est selon vous le remède à leur prescrire ?
Quand je regarde la jeunesse, mon cœur saigne en considération de la formation qu’ils ont reçu. L’éducation et la formation qu’on leur a données ne leurs permettent pas d’entreprendre eux-mêmes. Ils pensent qu’il faut aller servir autrui, qu’ils doivent gagner leur vie à la fonction publique. J’ai envie de leur dire : « arrêtez ça et faites confiance en vous-même ». Lorsque vous regardez les plus grands opérateurs économiques de notre pays, ce ne sont pas ceux qui ont fait BAC+5 ou BAC plus n. Pourquoi ? Parce que la confiance en soi se construit au fur et à mesure que l’on grandit et que l’on pratique un métier, une fonction. Lorsque vous quittez votre petit village sans diplôme et vous venez à Ouaga, la première des choses qui vous passe en tête c’est de chercher n’importe quel travail pour pouvoir survivre. Vous êtes ‘‘open mine’’ c’est à dire que vous avez une ouverture d’esprit en ce qui concerne la recherche de revenu.
Pourtant lorsque vous êtes diplômé d’une Maîtrise en droit, psychologiquement ou dans tout autre matière, vous êtes taillé à croire que vous ne pouvez rien faire d’autre, si ce n’est un travailler dans le domaine ou vous avez été formé. Et si le marché dudit domaine est saturé vous devenez chômeur et vous attendez toujours un boulot qui a un lien avec votre formation. Or, ce jeune qui arrive du village, dépourvu de tout diplôme se voit obliger d’accepter toute opportunité de travail qui s’offre à lui. Il peut commencer à jeter la pelle et à la fin de la journée, il a 1500F. Le lendemain, il revient et au bout de 10 jours il a 15 000f. Il se débrouille, il dépense 500f par jour. Et il fait 03 mois, 04 mois, 06 mois il s’aperçoit que l’on peut faire autre chose que de la maçonnerie et gagner sa vie. La vente des cartes de recharges téléphoniques par exemple.
Avec ses économies de maçonnerie, il s’approvisionne en cartes Orange, Moov et Telecel. Il arpente les ministères à la recherche de clientèle. Il se met en contact avec des fonctionnaires. Chaque fois qu’on a besoin de lui, on l’appelle ; Il court et il se fait des relations. Un jour on a besoin de fournitures de bureau. Il se présente et livre la marchandise. Il devient fournisseur de fournitures de bureau dans un service d’un ministère. Il élargie ses activités. Il commence par de petit contrats de 200 000f ; 500 000 francs ; 1 millions ; 2 millions ; 5millions ; 10 millions. Dès qu’on lui oppose la nécessité de se déclarer au fisc afin de postuler à de plus importants marchés, il se jette tout de suite dans les démarches afin de se mettre à jour au registre du commerce. Il va courir voir un notaire ou bien la maison de l’entreprise qui va lui faire une déclaration ; en ce moment, il peut soumissionner pour un marché de 20 millions, 30 millions pour la réfection ou la construction d’un bâtiment administratif. Tenez-vous bien que c’est le même qui vous vendait des cartes de recharges, fournitures de bureau et qi a des notions de maçonnerie. Il apprend sur le terrain puis il avance ; il deviendra un entrepreneur. C’est ainsi que les relations se lient. Et un jour le DAAF du ministère va lui dire qu’il a un programme de construction d’écoles, il répondra qu’il peut le réaliser mais il lui faut des ingénieurs. Il va se mettre à les rechercher, il va les retrouver et les recruter à hauteur de 500 000F/mois. Ces ingénieurs vont l’aider à soumettre les offres aux marchés de 150 millions, 200 millions, voir 300 millions. Le DAAF et ses mêmes relations du ministère vont l’aider à avoir lesdits marchés. Voici comment on devient un entrepreneur. Il va même débaucher certains fonctionnaires qui l’ont aidé à devenir entrepreneur.
Il va employer le juriste pour défendre ses dossiers juridiques et le psychologue pour faire des études d’impact environnemental de ses ouvrages.
C’est parce que les jeunes sont pressés. Ils veulent tout et tout de suite. J’ai envie de leur dire d’avoir confiance en eux-mêmes, serrez la ceinture et avancez. Même si vous avez l’impression que rien ne va, restez confiant. Ce n’est pas l’aide qui vous sortira de votre situation. Plus vous recevrez de l’aide, plus elle vous empêchera de développer vos propres idées en projets et de réussir. Plus vous vous battez, plus vous allez réussir.
Vous avez le cas de SAWADOGO Mahamadi dit Khadafi qui est président de la chambre de commerce ; KANAZOE Inoussa qui est grand patron d’unité industrielle de cimenterie ; Il en est de même pour KOANDA Moussa ; NASSA Idrissa pour les banques ; BONKOUNGOU Mahamadou dit EBOMAF pour les infrastructures routières
Il ne faut pas aller chercher les exemples aux Etats-Unis ou ailleurs, il y’a des beaux exemples dans notre pays.
Ces exemples doivent inspirés les jeunes ; surtout leur donner du courage, les interpeler sur le fait que seul le travail paie, surtout l’initiative privée.
Interview réalisée par Livenewsafrica.info
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