Entretien avec Docteur Nao Nédié, Président du Conseil Régional de Ouagadougou de l’ordre National des pharmaciens du Burkina Faso « L’ordre des pharmaciens ne régule pas le prix des médicaments »
Dans le souci d’en savoir davantage sur le monde des pharmaciens au Burkina Faso, nous avons entrepris de nous entretenir avec l’un d’entre eux qui a accepté de se confier à cœur ouvert. Au menu, les échanges ont principalement tourné autour des conditions de création, d’ouverture et d’exploitation d’une officine pharmaceutique au Burkina, des prix des médicaments dans les officines pharmaceutiques, de la classification et de l’organisation des différentes branches de la profession de pharmacien.
Le président du conseil régional de l’ordre des pharmaciens de Ouagadougou, Dr Nédié NAO a tenté de répondre à toutes ces préoccupations au cours d’une interview qu’il nous a accordé le vendredi 12 février 2021.
Commençons par vous connaître davantage…
Je suis Docteur Nédié NAO. Je suis pharmacien, et Président du conseil régional de l’ordre des pharmaciens de Ouagadougou, un des trois conseils régionaux de l’ordre des pharmaciens du Burkina Faso.
Nous comptons au Burkina trois conseils régionaux : le conseil régional de Ouagadougou dont les compétences couvrent la région ordinale du Centre avec son siège à Ouagadougou, le conseil régional de Bobo Dioulasso dont les compétences couvrent la région ordinale de l’Ouest avec son siège à Bobo Dioulasso et enfin le conseil régional de Fada N’Gourma dont les compétences couvrent la région ordinale de l’Est avec pour siège Fada N’Gourma.
La région ordinale du centre dont j’ai la responsabilité regroupe les régions sanitaires du Centre, du Centre Ouest, du Nord, du Plateau Central, et du Centre Sud. En termes d’effectif, elle regroupe à peu près 50% des pharmaciens du Burkina Faso.
Que faut-il retenir du métier de pharmacien ?
Le métier de pharmacien est très vaste et la plupart des gens ne voit qu’un seul volet, la vente de médicaments. Certes, le pharmacien c’est le professionnel du médicament. Pour être pharmacien, il faut avoir un Baccalauréat scientifique, la formation dure 5 ou 6 ans en fonction des pays.
La formation est sanctionnée par un diplôme d’État de docteur en pharmacie.
Aussi, à l’issue de la formation, le pharmacien peut sortir comme pharmacien d’officine, pharmacien biologiste ou pharmacien industriel.
Parlez-nous des différentes branches de la pharmacie. Comment sont-elles classées et organisées ?
Au Burkina Faso, l’ensemble des pharmaciens, en fonction de leur lieu d’exercice, public ou privé sont repartis dans des sections ;
- la section « A » regroupe les pharmaciens titulaires d’officines et les pharmaciens des pharmacies à usage intérieur des hôpitaux, polycliniques et cliniques,
- la section « B » regroupe les pharmaciens des établissements de préparation et de distribution en gros ;
- la section « C » regroupe les pharmaciens de l’Administration publique, des structures de formation et de recherche en santé et enfin
- la section « D » qui regroupe les pharmaciens des laboratoires d’analyses de biologie médicale.
Dans ces différentes sections on trouve les pharmaciens généralistes et les spécialistes dans plusieurs domaines à savoir :
- Sciences pharmaceutiques
- Sciences biologiques
- Santé Publique
Quelles sont les conditions de création, d’ouverture et d’exploitation d’une officine pharmaceutique au Burkina ?
Au Burkina, les conditions création et/ou d’exploitation d’une officine sont définies dans deux arrêtés ministériels dont l’arrêté N°2010-395/MS/CAB du 27/10/2010 portant conditions d’octroi d’une autorisation de création d’une officine pharmaceutique privée et l’arrêté N° 2010-360/MS/CAB du 27/10/2010 portant autorisation d’ouverture et d’exploitation d’une officine privée.
Pour postuler à l’ouverture d’une officine, il faut être pharmacien de Nationalité burkinabé ou d’un pays de l’UEMOA avec une ancienneté d’au moins trois ans et déposer une demande manuscrite de création adressée au Ministre en charge de la Santé en précisant la ville et s’il y a lieu l’Arrondissement du projet d’implantation. La procédure est très longue, complexe et très bien encadrée. Le dossier suit un parcours depuis le district sanitaire jusqu’au ministère de santé en passant par la mairie et le gouvernorat pour des avis. Une enquête de moralité est également diligentée. Au bout de la chaine, le postulant est classé sur une liste d’attente transparente, et accessible à tous. Il faut préciser que dans toute cette procédure, l’ordre des pharmaciens ne donne son avis que sur le pharmacien. L’Ordre ne donne pas son avis pour l’implantation d’une officine c’est le ministère qui s’en charge en identifiant les sites de sorte à améliorer l’accessibilité géographique des populations aux produits de santé.
Après l’obtention de l’arrêté de création, il faut encore attendre une autorisation d’ouverture et d’exploitation. Ce n’est qu’après tout cela que l’officine peut être ouverte au public après inspection du ministère de la santé
Quelle est l’organisation pratique des structures de votre profession ? On entend souvent parler de l’ordre mais également du syndicat des pharmaciens. Qu’en est-il exactement au Burkina Faso ?
Il faut noter que nul ne peut exercer la profession de pharmacien s’il n’est inscrit à l’Ordre. L’inscription à l’Ordre est une obligation. Par contre l’adhésion à un syndicat n’est pas obligatoire. Les deux entités cohabitent mais chacune connaît son domaine d’intervention et ses limites.
L’ordre s’occupe de l’éthique et de la déontologie de la profession de pharmacien. A ce titre il est le répondant de la profession devant les autorités administratives et politiques.
Le syndicat défend les intérêts moraux et matériels des pharmaciens qui lui sont affiliés. Il peut arriver que certaines personnes confondent le rôle de l’ordre et du syndicat. Je dois préciser que si l’un empiète sur la plate-bande de l’autre, il peut se faire taper dessus.
Les clients notent souvent, d’une pharmacie à une autre, une variation de prix. Comment cela se justifie ?
La régulation des prix des médicaments n’est pas une prérogative de l’Ordre. Il ne contrôle même pas le prix des médicaments dans les officines. L’ordre s’occupe des aspects déontologiques et éthiques de la profession. Cette question des prix relève du gouvernement et des syndicats. A ce que je sache, depuis la dévaluation du francs CFA en 1994, les prix sont libres. L’Etat n’intervient pour réguler les prix, qu’au niveau des médicaments essentiels génériques. Les prix des autres médicaments sont libres.
Cependant, certaines raisons peuvent expliquer les variations de prix des médicaments.
- La source d’approvisionnement: Nous avons des grossistes au Burkina, d’un grossiste à un autre les prix peuvent être différents. Cette différence s’explique parfois par la classification douanière variable des médicaments, des compléments alimentaires et autres produits de santé d’un grossiste à l’autre. Ceci peut jouer considérablement sur les prix des médicaments. Toujours est-il quel que soit le cas, les prix sont plus ou moins encadrés depuis l’enregistrement du produit par le laboratoire au ministère de la santé. Aussi, sur les factures d’achat, les grossistes précisent le prix public de vente à ne pas dépasser.
- Les ruptures de médicaments: les ruptures de médicaments chez les grossistes locaux peuvent entrainer les variations de prix. En cas de rupture de médicaments certaines officines dans le souci de rendre le médicament disponible peuvent être amenées à faire des commandes spéciales hors du pays. Dans ce cas de figure les prix ne peuvent pas être les mêmes que chez le grossiste.
- D’un arrivage à l’autre les prix peuvent changer au sein du même grossiste. Dans ce cas il faut finir de dispenser le stock disponible avant de procéder au changement de prix.
Je profite d’ailleurs de l’occasion pour exhorter les clients à plus d’indulgence. Ils peuvent toujours se rapprocher des premiers responsables de l’officine pour de plus amples informations.
Les populations se plaignent de problème de monnaie dans les pharmacies. Que pouvez-vous nous dire à ce propos ?
En ce qui concerne le problème de monnaie, Il faut dire que cela n’est pas spécifique qu’au secteur de la pharmacie. On constate d’une manière générale un problème de monnaie dans presque tous les domaines. Il faut noter comme le stipule la loi sur le commerce, le prix du produit est fixé et c’est au client de fournir la somme juste pour avoir son produit. Mais au demeurant au niveau des pharmacies un grand effort est fait pour faciliter les choses et disposer de la monnaie pour l’activité au regard du caractère sensible de celle-ci.
Nous avons essayé les moyens de paiement électronique, mais pour le moment seulement moins de 5% de nos clients l’utilisent. Il arrive très souvent que les pharmaciens soient obligés d’acheter de la monnaie avec des particuliers pour les satisfaire.
Il est à noter que la BCEAO nous accompagne dans l’acquisition de la monnaie pendant nos périodes de garde, c’est l’occasion de saluer cet effort.
Nous remarquons également qu’il y a énormément de rupture de médicaments dans les officines. Comment expliquez-vous cela ?
Il faut d’abord retenir que nous ne fabriquons pas les médicaments au Burkina Faso. La presque totalité des médicaments que nous utilisons sont importés Dans la chaine de commande, le grossiste pharmaceutique se trouve au début, ils sont les seuls à pouvoir identifier les causes des ruptures. Il est à noter qu’il y a rarement de rupture totale d’un médicament sur le marché.
Une des causes conjoncturelles qui pourrait expliquer certaines ruptures actuellement est la pandémie de la COVID 19. Même dans ce cas, il existe des équivalents contenant les mêmes molécules que le produit initial. Le pharmacien est autorisé à faire de la substitution des médicaments dans son officine en cas de rupture si possible.
Nous avons remarqué que le pharmacien communique très peu. Que pouvez-vous nous dire à ce propos ?
Le pharmacien qui est dans une officine a obligation de communiquer avec sa patientèle. Cependant nous ne pouvons malheureusement pas toujours communiquer sur certains aspects à cause de notre règlementation, et aussi parce que la publicité est interdite dans notre profession. A l’heure actuelle dans notre pays, dans le secteur de la santé, la profession pharmaceutique est la plus règlementée. Au niveau institutionnel nous avons remarqué que dès qu’il y a un problème, l’Ordre des pharmaciens est interpellé. Les sujets sont tellement vastes, et avec de nombreuses ramifications. L’ordre des pharmaciens n’est pas habilité à se prononcer sur les sujets qu’on lui attribue souvent ; il y a plusieurs acteurs. Il serait peut-être judicieux pour mieux communiquer que ces acteurs qui sont : L’ordre, le syndicat, le ministère de la santé à travers l’agence nationale de régulation pharmaceutique, la ligue des consommateurs, et éventuellement la douane, adoptent un plan de communication avec des thématiques à dérouler, pour mieux informer les populations.
Que pouvez-vous nous dire sur l’organisation des horaires d’ouvertures et de fermeture des officines, ainsi que du programme de garde des pharmacies.
En ce qui concerne l’organisation des heures d’ouverture et de fermeture ainsi que des programmes de garde, les bases se retrouvent dans la loi qui crée l’ordre, donnant mandat aux conseils régionaux de l’Ordre de fixer les heures d’ouverture et de fermeture des officines pharmaceutiques, ainsi que l’élaboration des groupes et programmes de gardes. Toutes les 3 régions n’ont pas les mêmes heures d’ouverture et de fermeture.
An niveau de la région ordinale du Centre la seule ville de Ouagadougou compte aujourd’hui à peu près 180 officines. Une officine n’est pas un commerce comme les autres ; car une officine ne peut rester ouverte en l’absence d’un pharmacien.
Pour faciliter la communication entre nous et la population, nous avons pris en 2018 un arrêté ordinal qui fixe les horaires d’ouvertures et de fermetures des officines de la ville de Ouagadougou et des communes rurales rattachées. Selon les dispositions de cet arrêté les officines ouvrent en continue de 08h à 20h du Lundi au vendredi et le samedi de 08hà 12h. Selon le même arrêté la garde commence les samedis à 12h sauf en cas de samedi férié, la garde commence à 08h. Dans ces circonstances il faut noter que la garde est une obligation. Elle oblige les pharmacies à rester ouvertes même si souvent c’est à leur détriment, pour tenir les médicaments à la disposition des populations. Les programmes de garde sont élaborés en tenant compte d’un maillage des officines de la ville, et sont communiqués par divers moyens dont les affiches devant nos officines pour informer les populations sur les pharmacies les plus proches. Rien que pour la ville de Ouagadougou, en moyenne 45 officines restent ouvertes 24h/24, 7j/7 en période de garde par semaine.
La bataille contre les médicaments de la rue est loin d’être terminée, qu’est ce qui est fait pour remédier à cette pratique ?
Je demande à la population de nous faire confiance et d’éviter les médicaments de la rue. Les médicaments de la rue pullulent aux yeux de tous et l’ordre des pharmaciens n’a pas force de répression. Des efforts sont consentis par les pouvoirs publics pour arriver à bout de ce phénomène mais je pense que c’est toujours insuffisant. Chacun doit prendre ses responsabilités face à ce fléau pour la santé des populations. Nous à notre niveau on ne peut que sensibiliser la population sur les dangers qu’elle court en utilisant ces médicaments.
Il y’a un sujet qui défraie la chronique en ce moment, concernant une pharmacie et un dépôt pharmaceutique à Bittou. Dans un passé très proche la même situation s’est produite à Zorgho.
Quelle est la position de l’ordre vis-à-vis des dépôts pharmaceutiques lorsqu’une nouvelle pharmacie ouvre dans une même localité
C’est purement un problème d’application de nos textes. Les dépôts de médicaments sont créés par arrêté ministériel par dérogation pour pallier au manque de pharmaciens. Par le passé les ressources humaines pharmaceutiques étaient insuffisantes. Maintenant la situation est tout autre. Il est inacceptable de continuer à observer cette situation de cohabitation.
Les dépositaires sont informés depuis leur création qu’en cas d’ouverture d’une officine pharmaceutique ils doivent fermer leurs dépôts dans un délai de 6mois et ceci est clairement mentionné dans un des articles de leur arrêté de création. S’ils le souhaitent ils peuvent demander à créer un autre dépôt dans une localité où il n’existe pas d’officine. Beaucoup de dépôts se sont conformés aux dispositions du dit arrêté, d’autres par contre préfèrent utiliser des moyens peu orthodoxes pour maintenir leurs dépôts ouverts en violation fragrantes des textes. Ceci pose un véritable problème de santé publique car ces dépôts à un certain moment sont obligés de trouver des moyens de s’approvisionner quelque fois dans le circuit illégal.
Comme je vous l’ai préalablement signifié, l’ordre a compétence sur les pharmaciens. Lorsqu’un pharmacien est pris en train d’approvisionner un dépôt suite à une plainte, ce dernier est interpellé au besoin traduit devant la chambre de discipline et sanctionné conformément aux dispositions en vigueur. Mais ce que nous déplorons c’est la passivité des autorités administratives chargées d’exécuter les décisions.
Pour terminer je veux rassurer les populations que nous disposons de ressources humaines suffisantes en pharmaciens pour faire face à leurs demandes en médicaments et conseils de qualité
Un mot à l’endroit des populations
Pour mon message l’endroit des populations, je leur demande de considérer les officines comme une structure de santé. L’officine représente le premier contact de la population avec l’agent de santé.
Le deuxième message je souhaite que la population comprenne que souvent, en cas de rupture d’un produit, nous leur proposons un produit de substitution, les textes le permettent. La substitution, c’est remplacer un produit par un autre ayant le même effet thérapeutique. Souvent c’est juste le nom qui diffère en fonction du laboratoire de fabrication.
Enfin je tiens à mettre en garde les populations sur la consommation des médicaments de la rue car les conséquences peuvent être dramatiques.
Je demande à la population de faire confiance aux pharmaciens, de les approcher. De leur poser leurs préoccupations parce que nous sommes à leur disposition. Lorsque nous ne pouvons pas résoudre un problème de santé posé, notre rôle est de les orienter vers une structure de prise en charge adaptée. C’est ce que nous nous efforçons à faire tous les jours.
Interview réalisée par Idrissa Napon
Laisser un commentaire